Exposé : La danse et la transe. Les Bacchantes, un mythe littéraire et artistique

Publié le 22 Mai 2015

Exposé : La danse et la transe. Les Bacchantes, un mythe littéraire et artistique

Auguste Clésinger, Femme piquée par un serpent, 1847 (photo de Yvan Lemeur)

Exposé réalisé par Noémie Alloza, Julia Brugidou, Jade Langevin, Cassandra Verdeyme.

INTRODUCTION

Définition des termes :

la danse : exécuter une suite de pas, de mouvements, suivants un rythme musical.

la transe : 1. état d'exaltation d'une personne qui se sent comme transportée hors d'elle-même et en communion avec un au-delà. 2. état de l'artiste saisi par l'inspiration 3. Sorte de sommeil pathologique ou d'altération de la conscience avec indifférence aux évènements extérieurs et dont il est difficile de faire sortir le sujet. 4. Etre hors de soi.

La bacchante : mythe antique de la femme sauvage, en fuite de la civilisation elle accède au délire grâce à l'inspiration divine de Bacchus

le mythe : mythos = fable contre le logos = discours/raison

--> sujet qui met en relation l'art et une forme de maladie : la transe, comportement anormal, maladif car la transe est un état de non contrôle, contraire à l'individu sain de corps et d'esprit. La danse, étant également un comportement déviant vers un lacher-prise, une évacuation de la raison, on peut dire qu'il n'y a qu'un pas entre danse et transe, entre le contrôle et la perte de contrôle. Il s'agit de plus ici de faire entrer l'art dans l'art, puisque la danse est représentée en littérature et de relier la transe à une possibilité d'inspiration créatrice. Les mythes antiques trouvent une grande place dans la littérature du XIXème : le romantisme l'avait d'abord écarté, le symbolisme chante le retour au néo-paganisme, le naturalisme l'évacue, et le mouvement de fin-de-siècle, notamment décadent, la réinstaure. A chaque mouvement artistique correspondait une figure dominante, ainsi le mouvement symboliste se concentre sur Prométhée, Oedipe et le mouvement décadent transforme la figure de l'homme fatal en celle de la femme Fatale ; évidemment la bacchante, mais aussi Salomé, regroupées sous le nom de "coupeuses de têtes". Ainsi, de ces divers éléments, nous nous sommes demandées en quoi la figure de la bacchante réunifiait, synthétisait à la fois art et maladie. En nous concentrant sur la période étudiée en classe, c'est-à-dire milieu et fin XIXème, la bacchante nous est apparue comme représentatrice des divers idéaux de l'esthétique décadente notamment, mais aussi des artistes en général. Car l'artiste, comme la bacchante sont des êtres profondément divisés et ambigus. Nous avons donc choisi d'axer notre étude de cet exposé sur ce point. En quoi la figure de la bacchante est-elle représentative de l'artiste fin-de-siècle ?

I. Présentation et contextualisation : la bacchante comme idéale des artistes du XIXème

a) Dionysos/Bacchus

Dionysos, que l'on nomme Bacchus dans la mythologie romaine, est avant tout le dieu du vin et des extases. Il est également le patron de la démence rituelle. Il est parfois nommé Liber (Libre ou Libérateur) car il vous permet de cesser d'être vous-même et ainsi vous libère. Comme l'indique Dodds dans Les Grecs et l'Irrationnel, " Dionysos amène les gens à se conduire comme des fous – ce qui pouvait tout aussi bien signifier « se laisser aller » que « devenir possédé »". Le but de son culte était l'ekstasis – ce qui, de nouveau, pouvait aussi bien signifier soit une évasion passagère, soit une profonde altération de la personnalité » . Ce qui fait de Dionysos un dieu paradoxal : il est celui qui menace la raison puisqu'il pousse les citoyens à l'ivresse et au sexe mais il est aussi le dieu de la joie et du théâtre ce qui en fait un dieu de la force vitale. Selon Platon dans Phèdre, le délire inspiré par Dionysos est purificateur.

Dans Les Bacchantes, pièce de théâtre d’Euripide publiée en 405 av JC, Dionysos est présenté comme un dieu vengeur. Il revient dans sa ville natale, Thèbes, pour se venger de ses tantes, Ino, Autonoé et Agavé qui ne croient pas en sa divinité, il les ensorcelle : « Ino, Autonoé et Agavé, les filles de Cadmos, ont refusé de croire à la maternité divine de leur sœur Sémélé. Un mystérieux égarement s’est emparé d’elles et les a chassées vers le Cithéron, toutes les femmes de Thèbes à leur suite. ». Dionysos se venge ensuite de son cousin, Penthée, qui en plus de ne pas reconnaître sa divinité n’accepte pas les bacchanales et essaie de les arrêter à tout prix. Dionysos finira par l’ensorceler, et Penthée se fera tuer par sa mère, qui sous l'effet de la magie le confond avec un lion.

Les Bacchantes sont présentées comme « les instruments de sa vengeance » mais elles peuvent aussi, par la divinité à laquelle elles accèdent par Dionysos, accomplir de véritable miracles : elles donnent le seins aux louveteaux, elles frappent le sol pour faire jaillir de l’eau, ou creusent pour créer une source de vin ou de lait.

b) Les bacchanales

cérémonies rendues en l'honneur du dieu Dionysos se déroulant d'abord en journée, et réservées aux femmes puis ensuite ouverte aux hommes et ayant lieu la nuit. C'est à partir de cette mixité, lorsque les hommes et les femmes furent confondus dans l'ivresse du vin, de la musique et de la danse que le culte du dieu se transforma en orgie. Lieu hors-législation où tous les excès étaient rendus possibles, aucun tabou, aucune limite. Fêtes interdites officiellement en 186 avant JC.

Les bacchanales sont avant tout un lieu de musique et donc de danse.

On remarque dans les écrits et représentations picturales la prédominance des tambours et cymbales.

Instrument qui battent le rythme, impose une cadence au corps, les pulsations du coeur se confondent avec le battement des percussions, ce qui entraîne une fusion entre le corps et la musique et une relative perte de contrôle. Evidemment, en plus de la musique et de la danse, le vin contribuait au délire des initiés.

La danse devient donc le moyen pour les bacchantes d'atteindre l'exstase, une fois que la femme a quitté sa condition d'humaine, elle entre en communion avec la nature et tout ce qui l'entoure. Selon Emmanuel Filhol de l'université de Bordeaux I « C'est en dansant sur la terre elle-même dansante, en faisant entrer en soi le rythme de la terre et des choses nées de la terre que l'homme atteindra à la sagesse véritable, la Folie des Folles, Mania Mainadôn. ». Nous remarquons l'effet double de la danse, qui malgré un caractère irrationnel et contagieux permet d'apaiser les hommes en leur offrant une « issue rituelle ». Selon Dodds, le rite dionysiaque bien qu'aparenté à une forme d'hystérie collective, permettait de canaliser la folie des hommes par la musique et la danse. L'hystérie mise au service de la religion, donc contrôlée est bienfaitrice tandis que l'hystérie à l'état brut est dangereuse.

c) la bacchante ou ménade

Les ménades sont à l'origine les nourrices de Dionysos, qui parfois accompagnées de satyres forment le « cortège dionysiaque » aussi appelé « thiase ». Dans la mythologie grecque, elles sont représentées portant un thyrse (grand spectre) et sont vêtues de la nébride (peau de bête). Elles portent également des couronnes de feuilles de lierre et apparaissent comme ivres en permanence et lorsqu'elles deviennent folles, elle n'hésitent pas à mutiler et tuer leurs adversaires (comme Orphée). Elles jouent de la flûte et du tambourin et sont représentées avec des serpents (qui représentent Dionysos). Dans Femmes et Nature, il est indiqué que les ménades dansent frénétiquement dans des excès de mouvements, elles sont « débordantes de vie et redoutables à la fois que porte en elle la nature sauvage ». Outre leur caractère hystérique, c'est la nature animale de ces femmes qui est mis en avant et qui constitue l'altérité de la femme au regard des hommes. Ces êtres divins s'incarnent ensuite chez les humains notamment chez les femmes de Thèbes qui réagissent à l'appel de Dionysos pour rejoindre les fidèles du dieu sur le Cithéron. Dans Les Bacchantes d'Euripide on attribut à Dionysos la folie des femmes, lesquelles étaient piquées d'un aiguillion les obligeant à fuir leurs demeures et gagner les montagnes.

Lorsque les ménades tuent Orphée, Dionysos, pour apaiser la colère des dieux, les changent en arbres. Ainsi, cet épisode signe la fin de leurs aventures et l'on passe de la représentation du cortège dionysiaque à son culte.

-> on peut se demander pourquoi un tel retour de la figure mythique de la bacchante au XIXème, et en quoi elle intéresse les artistes de l'époque.

II. La femme ambiguë et divisée : la bacchante, reflet de l'artiste ?

a) Les nouveaux mythes du fin-de-siècle

XIX ème : vers la laïcisation du pays, installation du matérialisme bourgeois. Autonomisation progressive par rapport aux différents pouvoirs que représentent à la fois l'Etat mais aussi la religion. Volonté de transgresser les normes : la littérature devient l'endroit où assouvir ses fantasmes, légitimer son désir...

Littérature: culte de la beauté non conventionnelle, de la perfection sauvage. Idem en peinture : le retour en force de la couleur sensible sur le trait intelligible.

Les artistes se construisent en refus du scientisme émergeant de l'époque = tiraillement entre raison et imaginaire : investir la figure des bacchantes c'est assurer un retour au fondement de l'homme, au mythe, à la communion sacrée mais libre : remystifier le monde.

Si pendant la deuxième moitié du XIXème on remarque un regain d'intérêt pour la figure de la bacchante c'est certainement pour plusieurs raisons. D'abord le fait simple qu'elles sont des femmes donc des êtres déjà mystérieux en soi. Les femmes ont toujours eu une grande place en littérature, objet d'étude et d'analyse; le XIXème marque le retour du mythe de la bacchante mais c'est aussi la redécouverte de la figure de Phèdre, femme hystérique. La bacchante est surtout une femme mystérieuse parce qu' elle est à la fois humaine et sauvage, faite de chair mais aussi mangeuse de chair. Elle est à mi-chemin entre la civilisation et le primitisme, entre l'acceptation et le refus.

b) entre désir et refus

La bacchante dans sa représentation littéraire et picturale nous fait penser à un individu malade : présentée comme une personne dans l'incontrôle de soi, habitée par la folie, sa gestuelle mimant des spasmes et une certaine transe font de cette figure mythologique une autre hystérique. Le corps de la bacchante est en tension et en torsion allant jusqu'à la contorsion, bougeant sur le rythme saccadé des tambours. Au XIXe siècle, cette chorégraphie « infernale », parce qu'il s'agit bien ici d'un art de la danse (définition du CNRTL), est associée à une pathologie : l'hystérie, que l'on attribue dans un premier temps en particulier aux femmes (d'ailleurs le nom d'hystérie tire son étymologie d'utérus). En effet, par la technique de leurs corps, les femmes arrivent à une perte d'elles-mêmes, à atteindre un état de transe, et l'on ne saurait douter du lien étroit et privilégié entre l'hystérie et la danse des bacchantes à cette époque. Dans Les idoles de la perversité de Dijkstra, intervient le terme « ménades de la décadence » pour décrire la femme cambrée « victime des dangers de la danse où elle s'était engagée au départ pour apaiser son appétit hystérique ». Dijkstra met également en évidence un point important, le point de vue masculin pour expliquer l'intérêt de certaines femmes pour la satisfaction sexuelle « le désir masculin commence par créer l'image de la nymphe insatiable, puis les scientifiques y découvrent un fait médical ». Rappelons que le XIXe siècle est marqué par le positivisme de Comte et que l'on pathologise certains comportements que l'on qualifie de pervers. Le rapport érotique des femmes face à la danse est catalogué comme une perversion sexuelle. C'est d'ailleurs à cette époque que le mot « nymphomanie » se répand pour décrire ces femmes aux comportements dits pervers, et Lombroso (médecin de l'époque que nous avions déjà évoqué dans ce cours) fera le parallèle entre cette figure de la bacchante extravertie avec la nymphomane « La nymphomanie transforme la plus timide des jeunes filles en bacchante éhontée ». On parlait aussi du ménadisme fin-de-siècle pour qualifier cette prétendue perversion. Il est intéressant de remarquer la volonté constante des hommes de vouloir rationnaliser les comportements des femmes, afin d'en avoir le contrôle. Mettre un discours, un logos sur ces "femmes fatales" par les moyens du discours médical ou de la littérature, est une tentative de trouver une justification à ces femmes qui dansent hors d'elles-mêmes et surtout hors du contrôle des hommes. Nous terminerons par cette citation de Dikstra « Incarnation de la nature, la femme est perpétuellement en guerre contre l'homme dont le propos est précisément de maîtriser ou de dépasser celle-ci ». Il est probable qu'infantiliser la femme (propos de Campbell, qui déclare que le goût de la femme pour la danse l'apparente à l'enfant) est une technique pour contenir, dompter la femme qui nous échappe et qui nous effraie comme « l'incarnation du mal ».

L'hystérique et la bacchante fusionnent donc dans l'imaginaire masculin, elles suscitent chez l'homme à la fois la frayeur et la fascination. Un plaisir ambigü -qui tend vers la perversion- naît chez les médecins qui déclenchent les crises, et chez les artistes qui tentent de saisir cette schyzophrénie de la femme. La patiente devient objet de regard, d'analyse et de désir, des caractéristiques que l'on retrouve dans les représentations picturales de la bacchante. La ménade est à la fois femme désirable et en fuite, douce et violente, dans le consentement et le viol, elle réunit les deux extrêmes. Cette transgression des limites se prolonge jusque dans la transgression des genres, la fin du XIXème est aussi la période où l'on porte un grand intérêt pour l'androygyne.

c) la femme mystique : la bacchante, projection de l'artiste

Dualité de l'être : entre volonté de quitter son corps et impossibilité d'atteindre l'enthousiasme absolu. Les bacchantes sont ces figures féminines qui font fantasmer les artistes, dépossédées d'elles-même, elles sont à mi-chemin entre le contrôle et le délire, entre la possibilité de création et celle de la déstruction. La bacchante se désaisit d'elle-même afin d'accueillir le divin, le souffle inspirateur.

On peut ici faire le parallèle avec les différentes tentatives des artistes de se droguer afin de quitter leur condition précaire, celle d'homme, pour se faire démiurges et accéder à une forme d'enthousiasme. (cf "les paradis artificiels" Baudelaire 1860, "Le club des Haschichins" Gautier, 1846)

Il est intéressant de remarquer qu'à la même époque, à la fin du XIXème anglais on observe un retour en force de la figure mythique du vampire en littérature (comme la bacchante, il s'agit de trouver une créature mi homme mi animal, violente et tueuse puisqu'elle devient puissante en vidant l'autre de sa substance vitale). Le vampire est une force transgressive qui détruit toute distinction sociale.

=> Dans les deux cas il s'agit de trouver un être qui puisse symboliser l'humain et le divin, le matériel et l'immatériel, le temporel et l'atemporel.

SOURCES : "Penser l'origine de trois grandes figures mythiques de la littérature de l'imaginaire", Hélène MACHINAL

-> lors de la deuxième moitié du 19ème, de nombreux artistes investissent la figure de la bacchante. On va vous présenter à présent, un panel assez large qui aborde différents arts.

III. Représentation de la bacchante au XIXème siècle

Le retour du mythe :

Le XIXe est marqué par un engouement nouveau, par un second mouvement d’enthousiasme pour les sujets bachiques. Les Bacchantes vont donc connaître une forme de résurgence qui viendra fortement nourrir la création artistique de cette époque[1].

L’art du XIXe sera empreint de cette figure de prêtresse et d’animatrice dansante. Étonnamment d’ailleurs, elles seront davantage représentées que leur dit roi[2], dans les arts visuels. La Bacchante sera donc la figure du thiase (le cortège de la divinité) mythique qui bénéficiera du plus grand intérêt en ce qui a trait à la représentation visuelle du 19e. Cette figure transmise par l’antiquité deviendra la muse des temps nouveaux[3].

Nous nous intéresserons ici à sa représentation dans plusieurs types d’art; de la poésie à l’art pictural, en passant par l’art sculptural pour finalement regarder du côté de la musique et de la danse, plus précisément du cabaret.

a) Poésie

Dans la seconde moitié du XIXe siècle va apparaitre en France le mouvement poétique ; Le Parnasse. Les poètes parnassiens prônent la poésie dans l’idée que l’art n’a pas forcément à être utile ou vertueux; d’où la théorie de l’art pour l’art (disons bien résumé), de Théophile Gautier. Dans cet optique, le but de l’art peut tout simplement d’être beau. Bref en réaction aux 25 dernières années de l’époque du romantisme; les parnassiens vont se positionner contre l’idée du lyrisme tel que le font valoir les poètes romantiques.

L’un des maitres de cette école va grandement favoriser le retour du mythe de la Bacchante, Leconte de Lisle. En s’inspirant des mythologies de tous les peuples et de toutes les époques, il va contribuer à faire ressusciter le monde de Bacchus dans la poésie [4], et ce, principalement par la traduction des Idylles de Théocrite, en 1861 et des Bacchantes d’Euripide de 1884.

Vont se joindre à lui, ou plutôt vous le précéder, dans ce mouvement de résurrection du mythe littéraire de la Bacchante, les poètes Théodore de Banville et José Heredia.

Heredia, José Maria de (1842-1905)

«Bacchanale», recueil Les Trophées, 1893

Une brusque clameur épouvante le Gange.
Les tigres ont rompu leurs jougs et, miaulant,
Ils bondissent, et sous leurs bonds et leurs élans
Les Bacchantes en fuite écrasent la vendange.

Et le pampre que l´ongle ou la morsure effrange
Rougit d´un noir raisin les gorges et les flancs
Où près des reins rayés luisent des ventres blancs
De léopards roulés dans la pourpre et la fange.

Sur les corps convulsifs les fauves éblouis,
Avec des grondements que prolonge un long râle,
Flairent un sang plus rouge à travers l´or du hâle;
Mais le Dieu, s´enivrant à ces jeux inouïs,

Par le thyrse et les cris les exaspère et mêle
Au mâle rugissant la hurlante femelle.

* Est évoqué ici l’image de la femme puissante et voire dangereuse; « en fuite écrasent la vendage», la femme destructrice.

* Les Bacchantes sont comparées à des animaux sauvages; les fauves, les bêtes féroces qui renvoient à l’image de la femme sauvage.

* Avec des grondements, elles flairent telles la bête en quête de nourriture

* Le dieu; Dionysos; s’enivrant…les cris les exaspèrent

* évocation de l’acte, ou plutôt de jeux sexuels où les cris se mêlent. Enivrer par les femmes, par l’alcool.

* Image de la prêtresse, de la femme décadente.

Ou encore avec Baudelaire et son poème « Le Thyrse»

Le Thyrse étant un grand bâton évoquant un spectre, c’est l’attribut de Dionysos, et parfois repris par Bacchus[5]

Mais Baudelaire lui parle plutôt du Thyrse selon le sens moral et poétique comme étant:« un emblème sacerdotal», donc qui réfère à ceux qui ont le privilège sacré. Mais physiquement disons c’est un bâton dur et droit[6].

Je le cite :« Autour de ce bâton, dans des méandres capricieux, se jouent et folâtrent des tiges et des fleurs, celles-ci sinueuses et fuyardes, celles-là penchées comme des cloches ou des coupes renversées. Et une gloire étonnante jaillit de cette complexité de lignes et de couleurs, tendres ou éclatantes. Ne dirait-on pas que la ligne courbe et la spirale font leur cour à la ligne droite et dansent autour dans une muette adoration ? Ne dirait-on pas que toutes ces corolles délicates, tous ces calices, explosions de senteurs et de couleurs, exécutent un mystique fandango autour du bâton hiératique ? Et quel est, cependant, le mortel imprudent qui osera décider si les fleurs et les pampres ont été faits pour le bâton, ou si le bâton n’est que le prétexte pour montrer la beauté des pampres et des fleurs ? Le thyrse est la représentation de votre étonnante dualité, maître puissant et vénéré, cher Bacchant de la Beauté mystérieuse et passionnée. Jamais nymphe exaspérée par l’invincible Bacchus ne secoua son thyrse sur les têtes de ses compagnes affolées avec autant d’énergie et de caprice que vous agitez votre génie sur les cœurs de vos frères[7]. »

à Il met bien de l’avant la dualité de la figure de la Bacchante, quoiqu’il s’agisse d’un Bacchant. Évoque le côté séduisant et mystérieux , mais surtout leurs folies :«compagnes affolées»

D’ailleurs ce poème en prose du recueil Le Spleen de Paris, est en fait une démonstration de la structure poétique et architectural des Fleurs du mal :« c’est la conjonction de la ligne droite, autrement dit la volonté du poète et de la ligne courbe, c’est-à-dire la fantaisie ( dans son sens le plus noble) du poète[8]»

b) Art pictural et sculptural

Voir Émile Lévy, La Mort d’Orphée, 1866

Voyons maintenant brièvement la représentation picturale de la Bacchante. Ici on assiste au meurtre d’Orphée par les Bacchantes. Est présenté la mort la fin du poète. Avec son allure chétif et frêle aux allures d’androgyne, il va inspiré le poète Armand Silvestre.

Dans le poème intitulé «La Mort d’Orphée», du recueil Poésies d’Armand Silvestre 1860-1872 , publié vers 1880.

Mieux vaut jeter son âme aux désirs furieux,
Tendre sa gorge nue aux ongles des Ménades,
Et faire de son corps la pâture des Dieux ![9]

Il s’agit ici d’un sacrifice sensuel qui met de l’avant le désir éminent du poète de s’abandonner aux folies charnelles des Bacchantes. Le poème évoque ainsi le rituel mystique du «sparagmos», qui consiste à déchirer ou mutiler une personne, dans un contexte dionysiaque. Il s’agit d’un meurtre rituel ou il est souvent question de sacrifice; meurtre associé aux Ménades et aux Bacchantes.

Ce sujet sera récurent pour lui car en 1889 dans un recueil en prose Contes à la brune, dans une lettre intitulée « Hymne des brunes», il écrira :

«N’affrontez pas ces rivages, mon ami, ou vous y trouveriez certainement le sort d’Orphée qui n’eut d’autre tort peut-être que de trop pleurer devant la beauté farouche des Ménades, les charmes dolents et baignés de mélancolie d’Eurydice[10]

Jusqu’à maintenant la figure de la Bacchante est reliée à quelque chose de classique, de divin, mais avec les représentations qui vont suivre nous verrons que cette figure de la Bacchante est représentative d’une époque empreinte de contradiction, tiraillée entre raison et imagination, entre norme et désir de transgression[11]», comme le souligne Adrina Sotrapa dans son article. Elle se veut donc à la fois comme prétexte à une scène de nudité silencieuse, à la fois comme l’occasion de mettre en scène cette figure du désordre orgiaque de Dionysos ou bien encore comme l’occasion de refaire vivre et de réactualiser ce mythe antique, de la danseuse des bacchanales, dans toute sa simplicité, en tant que modèle du 19e. [12]

Cette image de femme est donc le symbole de l’ambigüité, elle symbolise cette tension réelle du XIXe siècle, qui a lieu entre le ‘’grand art’’ et ‘’l’art décadent’’, une tension entre le classicisme et le modernisme, entre un «art élevé», et un art dit moins «noble». On s’intéresse donc à savoir où se situe cette figure de la Bacchante prise entre femme fatale, danseuse débridée et mythe intouchable?

Si nous étions plus du côté du mythe intouchable, avec Gustave Courbet est davantage évoqué l’idée de la femme fatale, enrôleuse, séductrice…

Voir Gustave Courbet , La Bacchante, date indéfinie (entre 1844-1847)

Cette peinture va susciter chez Clésinger l’envie de poursuivre cette tentative de déclinaison de représenter la bacchante comme un corps érotique, dans son naturalisme extrême. Chose qu’il fera.

Voir Auguste Clésinger, La Femme piquée par un serpent, Salon de 184

Une sculpture qui fera d’ailleurs un grand scandale, ce sera l’œuvre dont tout le monde parlera. L’œuvre est attaquée autant sur le plan moral que technique. On trouve le sujet indécent : une femme nue se tordant sur un lit de roses, un serpent (qui représente Dionysos) s’enroulant autour de son poignet. Son traitement très naturaliste rend le tout très concret.

Théophile Gautier, ce poète parnassien mais également critique d’art va commenter ceci : « c’est le pur délire orgiaque, la Ménade échevelée qui se roule aux pieds de Bacchus, le père de liberté et de joie […] Un puissant spasme de bonheur soulève par sa contraction l’opulente poitrine de la jeune femme, et en fait jaillir les seins étincelants… [13]».

D’ailleurs, cette sculpture tant controversée sera une référence pour Arsène Houssaye qui parlera de la Bacchante comme étant « symbole d’un art qui tourne le dos à l’Antiquité pour célébrer le culte d’une sensualité contemporaine»[14]. Refait surface toute cette idée de l’ambigüité. Il reprendra d’ailleurs l’image de la mort d’Orphée dans une de ses nouvelles, «Le violon voilé», du recueil Les douze nouvelles nouvelles

Je le regardai avec un sentiment douloureux pour l’homme et un sentiment d’admiration pour l'artiste. Je croyais voir Orphée lui-même mis en lambeaux par les bacchantes, tant je voyais ce pauvre cœur déchiré par les furies de la jalousie[15].

Voir Jean-Baptiste Carpeaux, La Danse, 1869

Il n’y a pas que la sculpture de Clésinger qui a fait beaucoup parler; celle de Carpeaux, La Danse, a également soulevé beaucoup d’émois.

Une sculpture qui suscitera beaucoup de commentaires. Arsène Houssaye se prononcera sur cet œuvre en la qualifiant comme étant dénudée de la grâce, que l’on retrouve dans la danse des Bacchantes. Dans la même idée se prononce Georges Lafenestre, un critique d’art français de l’époque, qui lui regrettera :« la perte de la noblesse classique de la bacchanale, transformée en danse hystérique de ménades parisiennes et déshabillées[16] ». Hystérique, donc malade. L’hystérie : «figure de l’horreur et du scandale du corps féminin menaçant l’équilibre de la différence des sexes[17]

Comme l'écrit Sarra Vitaca : «Carpeaux matérialise dans son œuvre l’obsession du siècle pour la bacchanale et pour la figure de la Bacchante. La danse et ses ménades parisiennes incarnent le fantasme d’une danse déréglée et épidémique[18]». L’évocation de l’épidémie qui se veut être multiplication d’une maladie, renvoie directement à l’idée de contagion, de danger, de maladie.

c) Musique, opéra

Du côté de la musique et du spectacle on ne peut passer sous silence l’opéra-bouffe Orphée aux Enfers. L’appellation renvoie à opéra-bouffon, dans l’idée de comique, terme qui apparaitra avec le compositeur (Offenbach) de la musique de ce même opéra ; Orphée aux Enfers.

Il y a donc là quelque chose de l’ordre de la dérision, de burlesque (tout comme on a vu avec la danse macabre) dans cette idée de spectacle-comique. Sans pour autant être foncièrement réducteur, le côté mythe antique classique de la Bacchante, n’a pour sa part pas sa place dans ce type de représentation.

à Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=y4hs7vW8SV0

On commence avec une musique entrainant et le rythme ralentit et de vient plus enjôleur. Il y a quelque chose d’un peu léger avec le sifflement, de joyeux, peut-être naïf, du moins de lascif. La fin renvoie directement à l’idée de festivité, de carnaval, de clownerie et de bouffonnerie.

Un opéra qui est composé de deux actes, le tout sur la musique du compositeur Jacques Offenbach. La première version de cet opéra est créée en 1858[19]. Mais le côté dérisoire vient surtout du texte.

ACTE 2 - QUATRIEME TABLEAU - SCENE I

Les enfers : au fond, le Styx. Tous les dieux, Eurydice en costume de Bacchante.

Au lever du rideau, tous les dieux de l’olympe et des Enfers sont réunis autour d’une table. Ils sont couronnés de fleurs, et boivent. Bacchanale

Jupiter, à Eurydice
Allons ! Ma belle bacchante,
Mortelle émule de Vénus,
Chante-nous de ta voix charmante,
Chante-nous l'hymne de Bacchus !

Tous
Chante ! Chante !
Belle bacchante !

Eurydice
J'ai vu le dieu Bacchus, sur sa roche fertile,
Donnant à ses sujets ses joyeuses leçons :
Le faune au pied de chèvre et la nymphe docile
Répétaient ses chansons.
Evohé ! Bacchus m'inspire,
Je sens en moi
Son saint délire,
Evohé ! Bacchus est roi !

La dérision est bien marquée par le personnage de l’homme déguisé en Bacchante. Cette scène est caricaturale. La Bacchante est appelée à se donner en spectacle, tout le monde la convie de chanter de sa voix charmante ; qu’elle n’a pas puisque c’est un homme.

Dans la réplique d’Eurydice il tourne au dérisoire, au comique, voire au ridicule, en évoquant que Bacchus l’inspire, qu’il le sent en lui. Le tout sur une musique qui renvoie à la joie et à l’exaltation. Comme le remarque Michel Beretti : « la sculpture de Carpeaux est considérée comme étant tout aussi déréglée et provocatrice que l’Offenbachiade[20].» L’artiste s’en est d’ailleurs peut-être inspiré puisque la Danse de Carpeaux est créée presque 10 ans après la première version de l’opéra.

d) Cabaret

L’image de la Bacchante est de nouveau réactualisée dans des illustrations ou personnages qui ne sont pas forcément issues du monde de Bacchus. Donc de l’analogie entre opéra-bouffe et cabaret m’apparait plutôt évident : les 2 font appellent au divertissement, c’est de l’ordre du spectacle, les 2 font intervenir la musique, fort probablement la danse, certes pour le cabaret (du moins il est question d’un corps en mouvement pour l’opéra).

De plus l’association entre la danseuse de cabaret et la Bacchante va tenir jusqu’à la fin du siècle. Ce qui m’amène à vous présenter, l’affiche que Jules Chéret fait pour le roman de Champsaur, l’Amant des danseuses. Un roman qui relate la vie licencieuse des coulisses dus musichalls. Sara Vitacca évoque le fait qu’à maintes reprises dans le roman l’auteur reprend cette analogie entre les danseuses du cabaret et la figure de la ménade, ivres elles sont comparée à de jeunes Bacchantes enivrées de rire. Ou encore lorsqu’il est question d’excès, l’auteur évoque la folie meurtrière des ménades mythiques. Bref elle conclue sur l’idée que la ressemblance, l’association entre les 2 figures féminines est bien réelle. C’est d’ailleurs le réalisateur de l’affiche qui a dit qu’il était possible de :« reconnaitre dans les silhouettes contorsionnées, disloquées, et zigzagantes de l’artiste, la manifestation d’une danse épidémique, évoquant la révulsion de la ménade antique et ses mouvements extatique.»

Évidemment, comme on l’a vu précédemment, il y a deux affiches présentant des femmes hystériques (par l’arc de cercle, la courbure hystérique, que fait leurs corps). Des femmes en transe, l’une affectée par la musique la danse et l’autre sous l’effet de l’alcool.

CONCLUSION

Le mythe littéraire des Bacchantes qui mêle danse, transe, hystérie, ivresse, folie, sauvagerie, etc. est réutilisé par les artistes du 19ème siècle car il met en avant une sorte de perte de soi, que recherchent les artistes de la même époque. La danse et la transe deviennent modèles de création par l'idée de cette dépossession de soi pour créer. De plus l'image de la femme est réhabilitée à cette période, avec l'image de la femme fatale, que représentent très bien les Bacchantes puisqu'elles sont capables de tuer un homme seulement par la force, à mains nues. Cette image, ajoutée à celle de la perte de soi vient renforcer l'influence du mythe au 19ème siècle.

[1] http://blog.apahau.org/appel-a-communication-bacchanales-la-creation-ivre-au-xixe-siecle-bordeaux-4-5-fevrier-2016/

[2] H. Crémieux, Orphée aux enfers. Opéra bouffon en deux actes et quatre tableaux, Paris, Levy, 1858, p. 26. Il s’agit du chant du chœur dans l’acte final de l’Orphée aux Enfers d’Offenbach.

[3] L’Atelier du XIXe siècle : La culture visuelle du XIXe siècle : high and low

[4] L’Atelier du XIXe siècle : La culture visuelle du XIXe siècle : high and low

[5] Euripide, Les Bacchantes [détail des éditions] [lire en ligne] (v. 80, 188).

[6] http://short-edition.com/classique/charles-baudelaire/le-thyrse-a-franz-liszt

[7] http://www.poetes.com/baud/bthyrse.htm

[8] http://litterae.pagesperso-orange.fr/page3.3.baudelaire.html

[9] http://etudes-romantiques.ish-lyon.cnrs.fr/wa_files/SaraVitacca.pdf

[10] http://beq.ebooksgratuits.com/vents/Silvestre-brune.pdf

[11] http://blog.apahau.org/appel-a-communication-bacchanales-la-creation-ivre-au-xixe-siecle-bordeaux-4-5-fevrier-2016/

[12] L’Atelier du XIXe siècle : La culture visuelle du XIXe siècle : high and low

[13] http://www.petitpalais.paris.fr/fr/collections/bacchante-couchee

[14] http://etudes-romantiques.ish-lyon.cnrs.fr/wa_files/SaraVitacca.pdf

[15] http://beq.ebooksgratuits.com/vents-xpdf/Houssaye-nouvelles.pdf

[16] http://etudes-romantiques.ish-lyon.cnrs.fr/wa_files/SaraVitacca.pdf

[17]https://books.google.fr/books?id=0SQY8XJ9cB4C&pg=PA101&lpg=PA101&dq=bacchante+hyst%C3%A9rie&source=bl&ots=eMYn4LSqZt&sig=XZq5nnwfHkkYqo8NW3_Cu0kR2a4&hl=en&sa=X&ei=8aMeVd-EKYzZU9SWg_gO&ved=0CCgQ6AEwAQ#v=onepage&q=bacchante%20hyst%C3%A9rie&f=false

[18] http://etudes-romantiques.ish-lyon.cnrs.fr/wa_files/SaraVitacca.pdf

[19] http://www.mediterranees.net/mythes/orphee/cremieux.html

[20] http://etudes-romantiques.ish-lyon.cnrs.fr/wa_files/SaraVitacca.pdf

Rédigé par Maladiesthetiques

Publié dans #Dossier Iconographie Hystérie

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